Hagshu 2014 : Une nouvelle voie dans la face nord

Lors d'une expédition en Himalaya, l'ascension du sommet choisi ne représente pas toujours la seule difficulté ; le bourbier administratif peut souvent s'avérer aussi ardu. En octobre 2014, Luka Lindic, Marko Prezelj, et Aleš Česen ont ouvert une nouvelle voie dans la face nord de Hagshu (6657m). Le destin réserve parfois des bonnes surprises : ce sommet peu connu était leur quatrième choix suite à une série de refus de permis qui les laisse perplexes. Luka nous raconte les péripéties avec l'administration indienne, les aventures au fin fond de la région de Kishtwar (Himalaya) en Inde, et les trois nouvelles voies ouvertes pendant ce beau voyage.

L'arête sommitale de Hagshu.

Avez-vous un permis en rab ?

En 2009 je suis parti en Inde pour la première fois, accompagné de Marko Prezelj et de Rok Blagus. Nous avons réussi à ouvrir des nouvelles voies sur trois des quatre sommets Bhagirathi. Au fil des cinq dernières années, j'ai presque oublié le stress vécu pendant l'avant-départ pour l'Inde en 2009. Deux semaines avant de prendre l'avion nous avons reçu un avis de refus de notre demande de permis pour gravir le Rimo III. Grâce à une motivation hors norme, nous avons obtenu les autorisations nécessaires pour les Bhagirathi. En 2014, avec Marko Prezelj et Aleš Česen nous étions motivés pour retenter le coup. Suite à une demande de permis refusée pour gravir le Phola Gangchen au Tibet - sommet où nous avons dû redescendre en vitesse à cause d'une tempête de neige - nous nous sommes focalisés sur le Rimo III en Inde. L'année dernière, une expédition britannique a tenté le sommet. Ensemble avec notre agence de voyage, Rimo Expeditions, nous étions confiants et pensions que l'IMF (Indian Mountaineering Federation) nous livrerait un permis sans problème. Néanmoins, au mois de mai nous avons reçu une information comme quoi l'équipe britannique, qui souhaitait refaire une tentative, n'a pas pu obtenir un permis de leur côté et que nous risquions de nous retrouver dans la même situation. Un peu surprenant car il n'y avait pas de bonnes raisons de nous refuser le permis. Bien trop motivés pour annuler l'expédition, nous avons opté pour un coup sûr en demandant un permis pour gravir le Mukut Parbat. Après avoir acheté nos billets d'avion, nous nous sommes plongés dans les préparatifs. Encore une fois l'IMF nous réserve une mauvaise surprise: "nous vous encourageons à vous orienter vers un autre sommet," nous écrivent-ils noir sur blanc. Un peu perdu et sans autre projet en tête, l'idée de tout annuler est difficile à avaler après avoir dépensé autant d'énergie. Notre agence nous conseille le Hagshu parmi la liste des sommets autorisés autour du Zanskar.

Lagan Peak et Hana's Men: deux nouvelles voies pour s'acclimater

Sur le sommet rocheux de Lagan

Ayant peu d'information en main, et encore moins de pression, nous partons pour le Zanskar. Juste avant le départ, nous avons appris que Mick Fowler et Paul Ramsden prévoient également de tenter la face nord de Hagshu. Cela ne nous pose aucun problème, surtout que le sommet est notre quatrième choix suite aux mésaventures administratives. Nous nous occupons rapidement de la logistique et des approvisionnements avant de commencer les deux jours de trajet jusqu'au village d'Akshow. Encore deux jours de marche et nous arrivons au camp de bases. La vue sur Hagshu était époustouflante ; la forme de cette montagne est très esthétique.

Pendant les journées suivantes, nous commençons à explorer l'itinéraire jusqu'au camp de base et le processus d'acclimatation. Comme première étape pour nous habituer à la haute altitude, nous faisons la première de l'arête effilée qui mène au sommet de "Lagan" (appellation locale), haut de 5750m. Les trois jours d'ascension depuis notre camp de base se révèlent bien plus difficiles qu'initialement estimés. L'arête présente plusieurs longueurs très délicates, et la voie en elle-même est bien plus longue que prévu. Une fois de retour au camp de base, nous planifions ce qu'il faut faire pour la suite.

Après deux jours de repos au camp de base, nous reprenons notre acclimatation. Une fois le camp de base avancé établi sur le glacier au pied de Hagshu, nous partons à l'attaque de la face ouest de Hana's Men (6300m). Au bout de trois heures de traversée du glacier, nous nous retrouvons au pied de la face. La première partie démarre par un couloir bien enneigé nous permettant d'aller vite. Nous suivons une ligne logique de rampes couvertes de neige, avant une petite partie en rocher pour arriver sur l'arête sommitale. Nous dégustons quelques longueurs amusantes sur du bon rocher et décidons de bivouaquer à 6200m sur l'arête elle-même. L'emplacement nous offre une belle vue sur le Hagshu. Le lendemain matin nous parvenons au sommet avant de basculer dans la face nord-est pour la descente. L'après-midi même nous descendons jusqu'au camp de base. Parfaitement acclimatés, il nous faut seulement quelques jours de repos avant d'attaquer le Hagshu. Trois jours plus tard nous remontons au camp de base avancé.

Luka Lindic dans la face ouest de Hana's Men.

La face nord de Hagshu: belle grimpe, belle météo

Nous nous équipons pour effectuer une ascension rapide en style alpin de la face nord de Hagshu : une tente de deux places, deux sacs de couchage, un réchaud, et des vivres pour deux bivouacs. À trois heures du matin, nous quittons le camp de base avancé, et au bout de trois heures nous remontons déjà la pente de neige qui forme la partie inférieure de la face. Une neige profonde nous ralentit au départ, mais les conditions s'améliorent au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude, nous permettant d'aller vite et sans corde jusqu'à l'endroit où la face se redresse.

Au départ de la face nord de hagshu.

Plusieurs longueurs de glace raide se suivent. La glace, bien lissée par des petites coulées de neige, est aussi cassante que du verre. Ces conditions perdurent jusqu'à la partie supérieure de la face où nous pensions initialement pouvoir aller vite. Dans ce terrain raide et glacé nous essayons sans succès de creuser un emplacement de bivouac. À deux heures du matin, suite à 23 heures d'affilée de progression verticale, nous aboutissons enfin sur l'arête sommitale à 6320m où nous montons la tente avant de nous endormir aussi vite. Le lendemain, après avoir fait la grâce matinée jusqu'à midi pour nous recharger les batteries, le soleil vient nous réchauffer et nous motiver pour repartir.

L'arête sommitale à la montée, l'arête sommitale à la descente

L'escalade se montre agréable dans la dernière partie rocheuse avant d'arriver sur le sommet nord de Hagshu. De là, nous suivons une longue arête en neige sans traces jusqu'au sommet principal. Il est 17 heures. Le beau temps continue et l'heure tardive avant la tombée de la nuit nous fait prendre la décision d'installer notre deuxième bivouac dix mètres sous le sommet. Le lendemain matin, de nouveau sous un ciel bleu clair pétillant, nous entamons la descente par la voie polonaise, située de l'autre côté de la montagne. Cette voie magnifique ouverte en 1989 comporte plusieurs tours rocheuses très raides, et donc des rappels bien gazeux. Il nous faut la journée entière pour redescendre jusqu'au camp de base avancé.

Une fois de retour au camp de base, nous croisons l'équipe britannique. Mick et Paul ont gravi une nouvelle voie dans la face nord-est de Hagshu quelques jours après notre ascension, et puis ont suivi nos traces jusqu'au sommet. Quelle coïncidence bizarre : deux équipes dans la même face au même moment sur un sommet qui n'a vu aucune tentative depuis des années. Comme d'habitude, la montagne offre assez de place pour tout le monde.

Les trois voies ouvertes pendant l'expédition :

Altitudes mesurés par GPS

• 17.9.2014 "Lazan" (5750m), arête est, TD-, M5 max, 700m (2000m de long), 8h, une première
• 24.9.2014 Hana's men (6300m), face ouest, TD, IV  max, 1100m, 6h+4h, une première
• 30.9.2014 Hagshu (6657m), face nord, ED, 70°-90° III, 1350m, 20h+4,5, une première

Nouvelle voie dans la face nord de Hagshu