Secours en montagne et en milieu périlleux : une manœuvre hors du commun
Début décembre, une dizaine d’équipes de sapeurs-pompiers spécialisés dans les secours en milieu périlleux et en montagne se sont retrouvés au centre CEA de Cadarache pour s’entraîner à toutes sortes de situations. Dans cet environnement industriel hautement spécifique, chaque exercice devient exceptionnel.
8 Février 2024
Accès sur corde et espaces confinés
« Victime au sol ! Du mou ! » L’injonction s’adresse à l’équipier resté au sommet de la cheminée industrielle. Là haut, sur l’étroite passerelle métallique qui en fait le tour, un ouvrier a fait un malaise tout à l’heure. L’autre secouriste vient de prendre pied, avec la victime conditionnée dans la civière, sur le toit-terrasse du bâtiment inférieur, où une seconde équipe se tient prête pour la suite de l’évacuation. Poulies, sangles, cordes, bloqueurs, tout se tend en quelques secondes. Les secouristes s’affairent, le regard vigilant. Les phrases sont courtes, précises. Après 20 mètres de rappel plein gaz, l’ouvrier, allongé dans la civière, doit encore franchir 30 mètres de tyrolienne pour parvenir jusqu’au sol où l’ambulance, garée devant le bâtiment, le prendra en charge et l’évacuera à l’hôpital…
Nous sommes au centre CEA de Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, le vendredi 1er décembre 2023. La victime n’est qu’un mannequin, mais pour les secouristes, tout est joué « comme dans la vraie vie ».
Une journée doublement exceptionnelle
Cette journée de manœuvre est doublement exceptionnelle. Tout d’abord par le site où elle se déroule, le centre CEA de Cadarache, et plus particulièrement le secteur où le réacteur de recherche RJH est en cours de construction. Une forêt de grues, échafaudages, ponts roulants, engins de chantiers et une armée d’ouvriers de tous corps de métiers affairés à leurs activités constituaient donc le « décor » éminemment complexe de cet exercice grandeur réelle.
Autre dimension inhabituelle, la manœuvre regroupe des unités de six départements voisins du sud-est de la France. Sont présents des pompiers des Bouches-du-Rhône (13), du Var (83), des Alpes-de-Haute-Provence (04), des Hautes-Alpes (05), de l’Ardèche (07), du Gard (30), et du Bataillon des marins-pompiers de Marseille, les uns avec des unités GRIMP (Groupe d’intervention en milieu périlleux), d’autres avec leur équipe GMSP (Secours en montagne), et le Var est également présent avec une infirmière sapeur-pompier. En tout, 50 sapeurs-pompiers spécialisés dans les secours d’accès difficile sont réunis pour s’entraîner ensemble.
« L’idée était de faire une journée technique sur le thème du secours en milieu industriel », relate le lieutenant Nicolas Beurrier de l’Ecasc (École d’application de la Sécurité civile), qui a orchestré cette manœuvre. « Nous avons donc inclus tous les départements voisins qui pouvaient potentiellement être concernés par une intervention de secours en site nucléaire. » Car sur un site comme celui de Cadarache où travaillent plusieurs milliers de personnes, on n’est en effet pas à l’abri d’un malaise ou d’un accident. Un accident qui peut survenir… n’importe où.
Des évacuations complexes
« Lors de la préparation en amont, on avait imaginé plusieurs manips possibles, mais le déroulé final le jour J dépendait surtout des effectifs qui seraient présents, et des travaux en cours sur le site ce jour-là », explique Nicolas Beurrier. Au final, six exercices différents ont été menés au cours de la journée.
Première mise en situation : un ouvrier a fait un malaise dans l’une des futures piscines en construction. Il doit être évacué dans une civière, par une translation horizontale le long d’une corde. La difficulté ? Ces cuves aux parois d’une quinzaine de mètres de hauteur sont actuellement encombrées d’une forêt d’échafaudages qui rendent le secours complexe, tant pour le cheminement que pour le choix des points d’ancrage, sur les tubes métalliques des échafaudages dont la résistance n’est pas prévue pour cela…
Une seconde manoeuvre suivra au même endroit, mais la mise en scène intègrera, cette fois, une dimension de risque radioactif - le seul exercice de la journée prenant en compte cette thématique. L’évacuation nécessite cette fois du matériel spécifique - combinaisons TLD (tenue légère de décontamination), respirateurs et civière « sarcophage » -, et se déroule en étroite collaboration avec l’unité locale spécialisée, qui participe à cet exercice en organisant sur place un sas de décontamination.
Un peu plus tard, l’opérateur d’un pont roulant - toujours factice - se blesse à son poste de travail. La passerelle métallique, suspendue à 20 mètres du sol sous le dôme de la cuve, est très étroite. Dans cet espace difficile d’accès, exigu et malcommode, il faut médicaliser la victime, la placer délicatement dans la civière, et lui faire franchir le garde-corps pour la mise au vide, le tout sans à-coups et à l’horizontale ! Les secouristes analysent le parcours que va effectuer la civière dans les airs, avec la contrainte de la poser non pas à l’aplomb, mais à l’écart des échafaudages et des ouvriers qui se trouvent juste en-dessous. Ils installent points d’ancrage, poulies de déviation et freins de charge en conséquence, tandis qu’un équipier se prépare à accompagner la civière en rappel…
Nouvel accident dans cette folle journée, cette fois c’est au sommet de la grande cheminée rouge et blanche qu’un ouvrier vient de faire un malaise ! L’endroit n’est accessible que par une échelle métallique extérieure… À nouveau, il faut prévoir une descente vertigineuse dans le vide pour l’évacuer. Protéger les cordes des frottements et des angles saillants, s’assurer de la solidité des points d’arrimage, anticiper le passage de la balustrade, prendre en compte les contraintes imposées par la médicalisation, sans oublier sa propre sécurité à proximité du vide, et tout cela, rapidement et efficacement…
L’exercice suivant quitte le plein air pour amener l’équipe de secours en milieu confiné et sombre. Cette fois, un ouvrier qui évoluait dans un escalier extérieur encloisonné a chuté. Il est pendu sur ses longes en mauvaise posture. Pas de lumière, pas de place, et un enchevêtrement de gaines techniques tout autour qui encombre l’espace et complique tout amarrage !
Enfin, pour terminer le programme, un dernier faux-accident emmènera une équipe de secouristes, accompagnés de l’infirmière du GRIMP83, au secours d’un infortuné blessé dans un lieu invraisemblable. Le réacteur en construction est en effet désolidarisé du sol et juché sur pilotis pour résister à un éventuel séisme. Une galerie étroite en fait le tour à la base, entre un mur de béton et de ferraille (l’extérieur de la cuve), et la paroi rocheuse d’une douzaine de mètres. Ces « oubliettes » sont plongées dans l’obscurité, et l’humidité suinte du substrat rocheux. L’évacuation se fera cette fois vers le haut au moyen d’un treuil, pour remonter d’abord la victime accompagnée d’un secouriste, puis l’infirmière descendue au contact pour médicaliser le blessé, elle-aussi accompagnée.
« Le plus compliqué sur un site sensible, c’est l’accès »
« Dans ces différents exercices, les techniques d’évacuation mises en œuvre n’avaient rien d’extraordinaire, souligne Nicolas Beurrier. Par exemple, on n’a pas eu à faire une immense tyrolienne, ni à recourir à des techniques inhabituelles. » Et ces techniques opérationnelles de base, les secouristes du GRIMP et du GMSP les pratiquent toute l’année, sur toute forme de verticalité. Alors, qu’y avait-il de singulier dans cette journée ?
« Le plus compliqué sur un site sensible comme celui-ci, c’est l’accès à la victime », reprend Nicolas Beurrier. Pour pénétrer dans l’enceinte et s’y déplacer, en manœuvre comme dans la vraie vie, les sapeurs-pompiers sont obligatoirement accompagnés par leurs homologues locaux, les agents (armés) de la FLS (Formation locale de sécurité). Eux seuls connaissent les lieux et sont à même de franchir les accès sécurisés. Tous les exercices ont donc été menés en intégrant un personnel FLS capable de guider les pompiers jusqu’à la victime.
Autre difficulté : la « coactivité ». Explication : « On ne peut pas arrêter un chantier de cette ampleur pendant l’intervention comme on bloque la circulation sur une autoroute lors d’un accident ! Ici, toutes les activités de construction suivent leur cours normalement pendant le secours, et il faut le prendre en compte. » D’où la nécessité d’être également accompagné par un agent du chantier, guide indispensable dans cet environnement.
Enfin, sur un site « sensible », on ne fait pas tout à fait ce qu’on veut ! « On ne peut pas faire un trou dans le béton avec notre perfo pour placer un point d’ancrage où on voudrait, illustre Nicolas Beurrier. Sur un site comme celui-ci, tout est contrôlé, surveillé, calibré. » De même, les structures métalliques omniprésentes n’ont pas forcément la résistance nécessaire pour y suspendre un secouriste ou tendre une corde guide… Autant de contraintes et de préoccupations en filigrane qui viennent s’ajouter à la réalisation, déjà complexe, de l’évacuation.
Un grand moment d’échange
Satisfait de cette « journée pédagogique » à thème, le lieutenant Beurrier projette de renouveler l’expérience de l’autre côté de l’arc méditerranéen, en Occitanie, en concoctant une autre manoeuvre semblable pour réunir une dizaine d’équipes GMSP et GRIMP de cette région-là. « Le but est avant tout que les gens se retrouvent, échangent, et que cela crée une émulation et de la cohésion entre les différentes unités départementales », s’enthousiasme le chef d’orchestre de cette journée. À Cadarache, entre le site exceptionnel et la dizaine d’équipes présentes, l’objectif était largement atteint.
Article rédigé par Anne Jankéliowitch.
Images réalisées par Hugo Pedel en accord avec le SMPM-ECASC VALABRE-CEA.
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