À l'assaut du Népal et de la Milk River pour Tiphaine Dupérier et Nouria Newman
En échangeant ses skis et ses piolets contre un kayak, Tiphaine Dupérier explore le Népal d’une nouvelle manière en descendant la rivière Dudh Kosi en compagnie de Nouria Newman, quadruple championne du monde de kayak extrême. Une expédition marquante au pied de l’Everest racontée par la skieuse française.
16 Février 2024
Randonnée et trekking
Quand je récupère Nouria Newman à l’aéroport international de Kathmandu, je ne me doute pas du magnifique pétrin dans lequel je me suis lancée en cette journée d’octobre 2022. Nous projetons un trek dans le Khumbu pour repérer la Dudh Kosi, rivière qui prend sa source sur le versant népalais de l’Everest pour en descendre une section en packraft. On peut lire dans les pages du topo « White Water Nepal » : « si vous vous intéressez au kayak de loisir, c’est probablement la dernière rivière que vous devriez choisir». Peut-être que cela aurais dû éveiller ma curiosité ? Je ne m’en inquiète pas. J’ai une confiance totale en Nouria et l’idée de ce genre de projet me motive. De la France, nous avons fait voler des packrafts, pagaies, dry suits et gilets. Mon ami Dawa Sherpa nous a trouvé des vols de dernière minute pour Lukla, la porte d’entrée du Khumbu, la région de l’Everest.
Marcher dans Le Khumbu, l’épreuve des nerfs.
Quel paradoxe ! Nous qui affectionnons les voyages dans les endroits les plus sauvages possibles, nous nous retrouvons au milieu d’un ballet continu d’avions, d’hélicoptères qui dépose et récupère des hordes de voyageurs. Retrouver ma condition de touriste de base peut faire mal à l’ego, mais c’est-ce que je suis… au détail près que nos trente kilos de matériel n’ont pas franchement de rapport avec l’activité principale du secteur. Pour l’instant, le plan est de repérer le haut de la rivière sans embarquer, nous laissons tout le matériel de navigation à Lukla. Cette section de rivière n’a été tentée que très peu de fois. La première en 1973 par une équipe Tchèque et la seconde en 1976 par un groupe de kayakistes anglais qui en a tiré un film épique : on y voit de longs bateaux en fibres se faire fracasser dans des rapides de taille himalayenne. On peut lire une histoire de Russes embarquant avec leurs catarafts et celle d’un Français ayant nagé une partie de la rivière… De quoi rêver pendant notre trekking !
Le 23 octobre, la marche commence. Si ni Nouria, ni moi sommes de grandes fan de la marche pour marcher, nous sommes consolées par une vue sur les rapides de la Dudh Kosi et sur les montagnes du Khumbu qui cachent peut être une ligne pour de futurs projets. En marchant vers le col du Renjo, nous retrouvons les plus aventureux trekkeurs du Khumbu sur le circuit des Trois Cols. Sans grosse acclimatation, Nouria arrive aux 5417 mètres du col où la vue sur les géants de la Terre est imprenable. Everest, Ltohse, Nuptse, Cho Oyu, Makalu et j’en passe.
Le 27 octobre, nous repartons de Gokyo, véritable station balnéaire d’altitude pour descendre sur Phorste en faisant bien attention de toujours choisir la bonne rive. Étant venue en 2009, je reste scotchée par le développement de cette région. Le nombre de lodges a été multiplié par trois et les comportements de certains touristes est choquant. Entre les menaces de ne pas payer leur équipe car un des porteurs s’est arrêté manger et ceux qui ne portent même plus leur sac de journée, il semblerait qu’être guide sur les sentiers du Khumbu devienne de plus en plus difficile. De retour à Lukla le 31 octobre, nous sommes pressées de charger nos embarcations et de filer en direction d’un possible « put in » (embarquement). Sans aucun doute, tout ce que nous avons pu voir de la rivière ne me laisse aucune chance de pouvoir naviguer. Nous allons donc devoir marcher quelques jours de plus vers le sud.
Nous n’avons pas pesé les sacs mais d’expérience, cela doit avoisiner les 30 kilos. Pour limiter la casse de nos épaules, on opte pour l’achat d’un « namlo », une bande de tissu attachée à une corde qui vient se fixer sur le bas du sac pour porter la charge avec la tête. J’ai peur du regard des locaux, mais combiner bretelles à l’occidentale et namlo asiatique se révéla être une technique redoutable. Malhabile sur les premiers kilomètres nous trouvons notre rythme pour atteindre Bupsa, 18km plus bas. Sur le chemin, ce sont de colonnes de porteurs et de mulets. Car si 90% des touristes arrivent dans le Khumbu par avion, la majorité des denrées alimentaires trouve son chemin à dos d’hommes et d’animaux. En descendant vers le sud, nous passons dans un autre district népalais, le Solo Khumbu. Peu à peu, la communauté Sherpa se fait plus discrète pour laisser place aux Raï. Les sommets enneigés disparaissent doucement tandis que d’immenses vallées vertes entaillées par des rivières font leurs apparitions. Depuis quelques jours, je vois Nouria calculer le pourcentage de pente sur la rivière. Elle a trouvé 2,5%, pour la partie haute de notre section et cela lui parait jouable. De plus Google Earth nous met en confiance : les portions « blanches » sur l’image satellite sont souvent suivies de bleu, ce qui signifie que les rapides ne s’enchaînent pas.
En packraft sur la Dudh Kosi.
Le 4 novembre, nous sommes au pied du mur. Nous avons trouvé un véhicule pour les trente derniers kilomètres afin d’atteindre le pont du Waku où nous allons pouvoir embarquer. Mon ventre est noué depuis la veille mais je me raccroche à l’idée qu’un packraft est plus stable qu’un kayak plastique. Je dois avouer que j’embarque fébrilement, voyant le débit et la technicité du premier rapide. Nouria est ici dans son domaine de prédilection : naviguer à vue, une rivière technique avec un bateau chargé. C’est un véritable régal de la voir choisir à une vitesse incroyable la ligne que nous devons suivre pour franchir les difficultés, tout en sachant qu’elle doit choisir la meilleure vu mes lacunes en terme de navigation. Le premier jour sur l’eau a été rude. Quelques rapides sont des « must run » (passages obligatoires) et les portages des plus gros ressemble à marcher sur une moraine avec 25 kilos sur l’épaule. Avec une grande peine et quelques natations, nous réussissons à ne perdre aucun matériel et à faire 6 petits kilomètres en 8 heures.
Malgré une souffrance mentale issue de mes nages en eaux vives, l’endroit est à couper le souffle. L’eau est bleue, la forêt dense et verte, les parties engorgées sont faites de granite et de temps à autre nous croisons un pont népalais ainsi que quelques pêcheurs. Lorsque nous débarquons le premier soir, les locaux sont sur la berge et tiennent à nous faire un dal bhat dont on se souviendra. Nous sommes seules avec nos trucs gonflables, le challenge sportif est pour moi bien réel, tout en vivant une expérience humaine plutôt unique. Le deuxième jour, pour réduire au maximum mes risques de bains, Nouria fait des navettes de bateaux. Je rame le maximum sans essayer de briller dans des rapides qui ne sont pas de mon niveau. Malgré tout, elle ne peut pas faire toutes les sections de la rivière car beaucoup ne sont pas franchissables en packraft. Je deviens adepte des « chickens lines » (hors du courant principal) car je ne tiens pas à revoir le fond de la Dudh Kosi. Au fur et à mesure des kilomètres, il faut se rendre à l’évidence : la rivière ne correspond pas tout à fait aux images satellites. De plus, la mousson tardive de cette année a décalé d’un mois les niveaux d’eau, ce qui signifie que le débit est très important pour la saison.
Nous avançons de cette façon les deux jours suivants. Bateaux dégonflés pour passer une section difficile, nous traversons le chantier d’un méga barrage. Ici, les gens se déplacent pour venir voir la construction et faire quelques selfies. C’est d’ailleurs par les berges que des familles entières se déplacent, dans un terrain bien exposé où la chute est interdite.
Avec l’aspect mental, il y a le physique. Une des fois où je me suis retournée, l’épaule n’a pas apprécié. Comme une petite goutte d’eau qui a fait déborder le vase, cette douleur m’a fait dire que c’était stupide de continuer. Sans attendre nous prenons la décision de plier, pour trouver un moyen terrestre de continuer. Renoncer n’est ni dans les habitudes de Nouria, ni dans les miennes, mais la blessure ne vaut pas la peine de forcer les choses. Une fois à terre, on se rendra vite à l’évidence : il n’y a pas de véhicules dans le coin. Demain nous allons devoir retourner sur l’eau. C’est là que le merveilleux hasard des voyages opère : comme je suis un peu au bout du rouleau, nous cherchons au moins un endroit pour manger et se reposer. A la première maison du village que nous croisons, les packrafts tombent à terre et nous voilà, demandant le gîte et le couvert, à cette dame parlant l’anglais autant que nous le népalais. Autant dire que l’incompréhension aurait pu durer longtemps si cette femme n’avait pas eu la visite d’une lointaine famille qui a fait office d’interprète. Vers 15 heures, le marché est conclu : nous pouvons dormir et manger chez Ranashuwa. Cette descente de rivière s’est alors transformée en un moment hors du temps, ponctué d’une séance de chants, de danse, d’une nuit avec lumière et radio allumées en dormant au pied du lit de cette vieille dame.
Le lendemain, presque « requinquées », Ranashuwa nous a accompagnées à l’embarquement. Sous le regard de nos hôtes, mon niveau de stress est au maximum et je prie pour ne pas me retourner dans les deux cents premiers mètres. Nouria me montre la ligne, je m’applique en essayant de copier la technique parfaite de Nouria. Ouf, c’est passé. D’après le topo, nous ne pouvons aller que vers du plus facile. Le dénivelé s’atténue, les rapides de classe 4+, 5 (sur une échelle de 5+, 6) vont devenir des rapides en 4 pour tomber à 2. Malgré une épaule douloureuse, je reprends du plaisir à naviguer dans cet endroit incroyable. La Dudh Kosi devient plus large, gorgée de tous ses affluents. L’eau est toujours aussi bleue et les vallées perpendiculaires au courant invitent à s’y perdre. Maintenant, les hommes sont de plus en plus présents, de nombreuses rizières et des nasses à poissons en sont la trace.
The Milk River ?
La dernière journée était de première classe : nous n’avons eu qu’a embarquer et se laisser porter par un courant plutôt tranquille pour atteindre la petite ville de Jayaram Ghat. La veille, nous avions décidé de stopper là, une route fréquentée y croise la rivière et la chance d’y trouver un bus pour Kathmandu était forte probable. J’avais pour ma part bien donné et Nouria, consciente que nous avions poussé l’expérience du packraft à la limite de mon niveau n’avait pas envisagé d’ajouter à ma fatigue. La sienne de fatigue, était d’un autre ordre, celle de devoir gérer à chaque instant les prises de décisions sur l’eau. En s’arrêtant là, nous étions sorties du pétrin.
Lorsque nous avons demandé aux locaux ce que signifiait « Dudh », nous avons appris que cela voulait dire « Milk », en référence à la couleur blanche du lait. Les kayakistes cherchent ce blanc, il garantit la présence de rapides sur une rivière. L’expérience de la navigation dans un endroit isolé force à être humble et à garder la tête froide. Même si cette sensation m’est familière, être novice dans cette situation m’a convaincue que c’est la seule façon d’y arriver.
Article rédigé à partir des notes d'expéditions de Tiphaine Dupérier et Nouria Newman, du 23 octobre au 8 novembre 2022.
Comme Tiphaine, de nombreux athlètes du Team Petzl partagent régulièrement leurs aventures avec la communauté.
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